Frédérique Nalbandian
Hygie et Panacée
Exposition 2021, passée
Du 8 mai au 3 septembre 2021
Vernissage le vendredi 7 octobre à 18h.
En résonance avec la pandémie, Frédérique Nalbandian a choisi de représenter deux divinités emblématiques de notre époque troublée, les déesses grecques de la Santé et du Soin, Hygie et Panacée dans sa matière de prédilection, le savon de Marseille, symbole de l’hygiène. Depuis quinze ans, pour créer ses œuvres, Frédérique Nalbandian travaille avec la Savonnerie du Fer à Cheval, la plus ancienne et la plus grande savonnerie de Marseille qui produit un savon particulièrement raffiné cuit en chaudrons.À partir de cette matière brute et encore chaude, Frédérique a réalisé dans les ateliers de la Savonnerie trois représentations de Panacée dans une forme qui inclut à la fois les gestes augustes des lavandières et le classicisme des déesses antiques vêtues de leur peplos, un tissu artistiquement plié destiné à mettre le corps en valeur.
Vues d'exposition Hygie et Panacée, Frédérique Nalbandian, Galerie Eva Vautier, mai 2021 © Photos François Fernandez
Hygie, la déesse autour de laquelle s’enroule le serpent sacré, est sculptée dans un bloc de savon de deux mètres de haut et pesant plus d’une tonne.Un documentaire a été réalisé qui, projeté lors de l’exposition, présentera les étapes de la sculpture, le travail de création de Frédérique Nalbandian, et comment ces déesses s’inscrivent dans son parcours. Un accéléré (timelapse) montrera l’apparition de la déesse Hygie que l’artiste extrait peu à peu de son bloc.
Un rappel du Panthéon grec, de l’histoire du savon et de la Savonnerie du Fer à Cheval nous permet de mieux comprendre les enjeux et le sens de cette création originale. En représentant ces déesses protectrices, particulièrement emblématiques de notre époque troublée, en les inscrivant dans l’art actuel, Frédérique Nalbandian accomplit une œuvre qui résonne avec son temps.
Alain Amiel
Toucher Texte de Bérangère Armand
« Pour dire la vie, les verbes d’action sont plus utiles que les mots »*.
Les verbes d’action sont au cœur de l’œuvre de Frédérique Nalbandian. L’artiste saisit, trempe, froisse, manipule, sculpte, forme le savon. Patiemment et avec force, elle donne vie à des formes antiques. Les figures d’Hygie et Panacée, déesses personnifiant respectivement la santé et le remède universel, nous accueillent à la galerie qui prend des allures de temple avec son espace haut et étroit. Comment ne pas porter un regard étonné sur cette oeuvre de savon alors que nous vivons une obsession inédite du lavage de mains et craignons la maladie ?
Frédérique Nalbandian invite le visiteur à toucher son travail après s’être mouillé les mains. Une cérémonie de purification profane se joue dans le lieu d’art. On touche la statue, et la chimie du savon opère. Sous des apparences contingentes, le savon est en fait une matière très compacte, solide, qui peut demeurer inchangée très longtemps, même en présence d’eau. En effet, sans friction, le savon mouillé ne s’altère presque pas. Il faut le frotter, le caresser, s’en saisir pleinement pour qu’il commence à disparaître.
Le regardeur prend part au « processus créatif »* : son imaginaire est ailleurs, en Grèce, dans les ruines d’un temple tandis que son corps et son esprit sont là, convoqués à travers l’odorat, la vue, l’ouïe et le toucher : « Ce phénomène peut être comparé à un ‘transfert’ de l’artiste au spectateur sous la forme d’une osmose esthétique qui a lieu à travers la matière inerte »*.
L’artiste touche pour former, et dans le même temps, l’artiste nous invite à toucher quand toucher l’autre est devenu presque interdit. Ces frottements, frôlements, caresses sont au cœur d’une drôle d’histoire de la sculpture : celle des croyances et superstitions au nom desquelles, par des gestes mille fois répétés, les publics altèrent des statues dont le contact est censé porter bonheur, garantir l’amour, la guérison. Ces gestes tendres quoique destructeurs altèrent la couleur d’un marbre ou lissent la surface d’un bronze à un point désigné comme magique. On touche alors pour toucher juste. Les stigmates de ces croyances et superstitions sont fonctions du temps, du nombre de caresses, de la force des frottements, paramètres d’une mécanique du vœu, d’une physique de la promesse.
* Olivier Remaud, Penser comme un iceberg, Actes Sud, collection Mondes sauvages, octobre 2020
* Marcel Duchamp, Le processus créatif, Envois, L’échoppe, novembre 1987
* Marcel Duchamp, Le processus créatif, Envois, L’échoppe, novembre 1987
Texte de Bérangère Armand