Mona Barbagli, Natacha Lesueur, Frédérique Nalbandian, Caroline Rivalan et Anne-Laure Wuillai
Puissantes
La Citadelle, Chapelle Saint-Elme, Villefranche-sur-Mer
Exposition 2023, passée
Du 18 mars au 14 mai 2023
Chapelle Saint-Elme, Villefranche-sur-Mer
La Citadelle s’associe à la Galerie Eva Vautier et présente du 18 mars au 14 mai 2023 Puissantes, une exposition collective autour du travail de cinq femmes artistes et de leur rapport au sacré, au divin, au sentiment de présence mystique dans le quotidien.
Prenant place à la Chapelle Saint-Elme au cœur de La Citadelle de Villefranche-sur- Mer, cette exposition est l’occasion de proposer aux visiteurs une plongée dans les univers de Mona Barbagli, Natacha Lesueur, Frédérique Nalbandian, Caroline Rivalan et Anne-Laure Wuillai, cinq artistes installées dans le paysage artistique national.
Vue de l’exposition collective, Puissantes, 2023, Photo © François Fernandez
Puissantes. Ce terme fort, légèrement vindicatif, est une volonté de rassembler une pensée autour de la sélection d’œuvres de cinq artistes femmes de générations différentes, toutes installées dans le paysage artistique national, et résidant sur la Côte d’Azur.
Au cœur d’une citadelle du XVIème siècle, lieu historique éminemment guerrier et masculin, et dans une salle d’exposition qui était autrefois une chapelle, le clin d’oeil est amusant : des oeuvres réalisées par des femmes et dont les représentations évoquent leur rapport intime aux émotions, aux paysages, à l’Histoire. L’idée du sacré féminin sous-tend également notre propos : il s’agit d’oser allier puissance et sacralité en évoquant le corps féminin et son esthétisation abusive mais néanmoins séduisante - la rose, symbole amoureux, est l’attribut par excellence permettant d’évoquer la féminité antinomique, tout à la fois séduisante par ses pétales et dangereuse par ses épines comme dans l’oeuvre de Frédérique Nalbandian. Il s’agit d’oser associer l’émotionnel à la froideur du regard détaché de l’objectif photographique en studio avec la pratique de Natacha Lesueur. Il s’agit de mélanger violence et amusement comme dans les séries d’œuvres de Caroline Rivalan. Il s’agit de présenter un regard amoureux des paysages et de l’environnement naturel qui cherche néanmoins à le dominer comme dans le travail d’Anne-Laure Wuillai. Il s’agit d’interroger l’invisible, le discret avec l’affirmation de soi et de sa parole au travers du travail de Mona Barbagli.
De ces paradoxes naît la puissance, de ces complexités entremêlées naît une simple idée : montrer cinq regards sur le monde.
Depuis 2022, La Citadelle et ses musées profitent de leur chantier de rénovation patrimoniale pour renouveler la programmation artistique du lieu en invitant des artistes contemporains et en collaborant avec des acteurs culturels et dynamiques de premier plan, à l’image de la galerie Eva Vautier. Le rapport au lieu est un des axes privilégiés de cette nouvelle programmation tout comme le lien avec les collections d’art moderne des Musées de La Citadelle. Dans cette exposition, vous retrouverez un fac-similé d’une œuvre de l’artiste Christine Boumeester, présente dans nos collections, et dont nous sommes fiers d’être le plus important dépositaire public de ses œuvres. L’ensemble de la collection qui lui est dédiée ainsi que celle de son mari Henri Goetz sont actuellement en cours de restauration.
La Citadelle – Musées & Centre d’art et de culture
Christophe Trojani
Maire de Villefranche-sur-Mer
Monica Laugier Adjointe à la Culture
Camille Frasca, directrice assistée de
Luciana Ribeiro da Costa
Mona Barbagli
Née en 1995 et diplômée du Pavillon Bosio puis de l’école des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire, Mona Barbagli est une artiste qui utilise comme médium principal ses propres émotions et son ressenti face à des situations vécues, qu’elle recrée seule lors de performances.
À l’occasion d’un voyage au Sénégal, dans la ville de Dakar en 2019, elle imagine une œuvre intitulée “Paroles ineffables” autour de la parole et de sa traduction, au contact des griots, figures de poètes musiciens passant de villages en villages et dépositaires d’une tradition orale ancestrale. Son idée prend forme et elle décide d’établir une relation de confiance avec une femme griotte, afin de développer un “tissage de discussion”. Elle enregistre sa conversation avec la griot, en orientant ses questions sur sa conception de la transmission orale ainsi que son rôle dans la société. A l’écoute de cette conversation enregistrée, Mona Barbagli s’attache à retranscrire le rythme et l’essence même de cet échange en coloriant un fil blanc de différentes couleurs. La parole prend alors une forme esthétique en étant constituée de vides et de pleins colorés. Une fine couche de cire d’abeille est ensuite ajoutée sur le fil pour le protéger. Enfin, l’artiste fait tisser le fil qui devient une bande de tissu retranscrivant le dialogue de façon poétique et énigmatique, œuvre d’art physique et mémorielle d’un souvenir au départ intangible.
Avec “Batik aqueux”, son travail autour du tissu se poursuit avec une technique d’impression ancestrale sur étoffe : le motif à représenter sur le tissu est réalisé grâce à une réserve en cire, qui, une fois le tissu teinté, est enlevée pour révéler le dessin. L’artiste considère cette pièce comme un instant figé d’une émotion, d’une contemplation, d’un moment de communion avec son univers intérieur, appelant le spectateur à se reconnecter avec son corps, son esprit et son âme.
Enfin, avec la série des “Lames vives”, la violence qui sous-tend l’objet est contrebalancée par la fragilité du matériau utilisé : nullement tranchantes, ces haches cassantes sont gravées de symboles, laissant le spectateur imaginer leur utilisation, évoquant des rites mystérieux.
Natacha Lesueur
Natacha Lesueur est une photographe française née en 1971 à Cannes et installée à Paris. Elle réalise ici des mises en scène photographiques avec un modèle rejouant le personnage de Carmen Miranda.
Actrice et danseuse portugaise-brésilienne née en 1909 et morte en 1955, Carmen Miranda fut célèbre aux États-Unis dans les années 1940, surnommée “la bombe brésilienne”. Avec plus d’une quinzaine de films et de comédies musicales à succès, son personnage incarne un certain exotisme caricatural – tenues recouvertes de fruits et de fleurs, couleurs exubérantes, attitude toujours positive – mélangeant les cultures sud-américaines sans distinction, dans une construction médiatique de toute pièce promue par Hollywood et l’Amérique de Nord. Natacha Lesueur s’est attachée à reproduire, à travers une mise en scène savamment travaillée, les attitudes de ce mythe du tropicalisme, femme devenue une icône qui sous nos yeux se déploie ici dans une version sérieuse, voire grave, jetant sur le spectateur des yeux désabusés.
Avec l’oeuvre “Fée couronne”, Natacha Lesueur continue encore tout récemment son exploration de la figure féminine en interrogeant son rapport au sacré et au statut de femme dans notre société : son modèle, tout de blanc vêtue, arbore les éléments iconographiques de la mariée, comme le voile cristallin, et semble distante ou indifférente au regard des spectateurs, exhibant une attitude à la fois déterminée et mélancolique.
L’artiste considère ses œuvres comme des collages, puisqu’elle dessine au crayon à même le tirage photographique. Le dessin hyper réaliste imite la photographie tout en ouvrant de nouvelles perspectives. Un contraste se déploie alors entre le visage jeune, les cheveux gris et l’incandescence de la coiffure : le modèle prend la pleine possession de son corps et de son individualité, symbolisant par cette hétérogénéité la femme contemporaine par excellence.
Anne-Laure Wuillai
Née en 1987 et diplômée des Beaux-Arts de Paris, Anne-Laure Wuillai est une artiste française installée à Nice. Au cœur de sa pratique, notre rapport d’être humain à l’environnement naturel : utilisant des échantillons d’eau de mer, des grains sable, des pierres, des algues et de multiples autres matières, elle recompose des biotopes dans son atelier-laboratoire où alambics, solutés et planches d’observation côtoient pinceaux et crayons.
Dans son installation “Sisyphe”, elle dispose au sol des disques d’ardoise naturelle qu’elle a recouverts d’eau de mer Méditerranée entourée d’un liquide hydrophobe. L’eau de mer ainsi prisonnière ne peut que s’échapper par évaporation, laissant derrière elle les traces iodées de son passage sur la pierre, évocation du mythe sur l’absurde et de notre rapport de domination des éléments naturels.
Avec les “Poudriers”, Anne-Laure Wuillai continue d’explorer son rapport au paysage en recréant un écosystème dans le creux d’un objet, comme elle a pu le faire avec des boules à neige ou des tiroirs de meubles anciens. Enfin, dans sa récente série des “Petits mouchoirs”, elle explore le raffinement d’un objet jetable à première vue dénué d’esthétique – le mouchoir en papier – en le proposant sous la forme d’une sculpture délicatement posée sur le coin d’une étagère.
« J’aime questionner nos manières d’habiter le monde, les normes que nous produisons pour tout mettre à notre échelle. Cette façon que nous avons de domestiquer l’eau et le ciel aussi, des éléments dont l’immensité pourtant en tout point nous dépasse »
Frédérique Nalbandian
Frédérique Nalbandian est une artiste française née en 1967 et installée à Menton. Sculptrice mais également dessinatrice, elle s’intéresse à des matériaux spécifiques comme le plâtre et le savon.
Ce dernier constitue la matière principale de l’œuvre “Fragment amoureux” (2020), image d’une ruine de colonne dans laquelle sont taillés des motifs de rose, le tout placé sur un socle en marbre de carrare. Dans un rapport constant de lutte avec la matière, l’artiste explore ici le paradoxe d’un élément architectural vertical, solide, phallique tout en l’associant à la fragilité de la matière savonneuse et à l’évocation symbolique de la rose. L’immanence et la blancheur du savon sont parmi les caractéristiques qui intéressent Frédérique Nalbandian :
“ Le savon est incroyablement résistant à sec. Il se conserve parfaitement, et vieillit très bien, « noblement » je dirais, à l’abri de l’humidité. Francis Ponge disait « L’eau s’évapore mais le savon reste » (cf. Le Savon). Ses possibilités à changer d’états et d’aspects sont extraordinaires. Ces caractéristiques m’intéressent au plus près. ”
Dans sa série “Archange”, les roses sont dessinées au lavis d’encre sanguine et des éléments rapportés viennent enrichir la composition : plume, mousse, eaux savonneuses, rose rouge fraîche écrasée, pigment carmin s’additionnent pour évoquer la fleur sacrée, symbole de l’amour passionnel et de la puissance de la beauté. Dans sa série “Appassito” qui signifie “flétri” en italien, l’artiste utilise le pastel sec et l’eau savonneuse pour reprendre le motif de la rose sur papier velours. Aspect sanguinolent et courbes intimes forment des fleurs dont certains pétales se meurent, dans une ode au temps qui passe et un hommage aux vanités. Enfin, dans “Remonter le temps” et “Brevis III”, l’artiste nous donne à voir des sortes d’ex-voto intemporels, célébration de la beauté évoquant un sein ou un nuage.
Caroline Rivalan
Diplômée de la Villa Arson, Caroline Rivalan, née en 1981, vit et travaille à Nice. A travers un travail d’appropriation d’images trouvées qu’elle retranscrit à travers des montages, Caroline Rivalan explore les mythes féminins.
Mélangeant avec irrévérence et sarcasme des images parfois dures, parfois drôles, elle crée un univers très particulier où les faits historiques sont entremêlés, créant de nouvelles narrations. Dans ses récits, le féminin tient une place toute particulière et le désir de croiser les destinées de ses inspiratrices est présent : des patientes de la Salpêtrière “soignées” pour hystérie rencontrent la vie trépidante des sœurs Gellert, deux danseuses de cabaret hongroises des années 1920, connues sous le nom de Nita et Zita qui se produisirent dans le monde entier avec une liberté créative totale en gérant leur carrière en pleine autonomie, sans la mainmise d’un imprésario.
Dans la série “Insultant clin d’oeil”, les langues pendantes des malades sont associées aux visages des deux danseuses, dans une antithèse puissamment évocatrice des paradoxes insultants régulièrement associés au féminin. Ici le corps des hystériques n’est plus contraint, il suit le pas du corps émancipé des contorsionnistes burlesques, dans une sororité rétablie par l’artiste.